La période comprise entre le 5e siècle avant et le 5e siècle après J.-C. a vu l’émergence et l’établissement de vastes empires en Asie centrale (achéménide, hellénistique, Kushan, Qin puis Han), remarquables par l’intensité de leurs interactions matérielles et commerciales. L’attention des historiens et des archéologues s’est particulièrement portée sur le cœur de ces empires, ainsi que sur les manifestations au sein des élites du multiculturalisme créé par ces échanges. L’évolution des pratiques de consommation de produits de luxe, comme le vin, les bijoux, la soie, les teintures et laques précieuses, ou la représentation du souverain et de sa cour sur divers supports ont par exemple fait l’objet d’études approfondies. Les zones périphériques – cols, hautes vallées, déserts – ont souvent été négligées par manque d’intérêt ou de données (avec des exceptions notables comme le désert du Taklamakan en Chine), et constituent donc un domaine à explorer. L’expansion des empires implique un ancrage territorial à construire intellectuellement et matériellement, sous forme de politique religieuse, d’évolution de l’idéologie royale, de réseaux diplomatiques, de contrôle des routes commerciales et migratoires par l’établissement d’espaces de surveillance (tours, forts, forteresses), mais aussi de pétroglyphes. Les réseaux commerciaux et les voies de communication dans les vallées du Vakhsh/Surkhob/Kyzyl-Su, du Zeravshan, à travers le Pamir, et au nord et au sud du désert du Taklamakan jusqu’au Gobi sont caractérisés par la présence humaine, permanente ou intermittente, afin d’assurer le contrôle d’un territoire.
Dans ce cadre, qui n’a pas encore été étudié dans sa globalité, les sous-réseaux commerciaux et diplomatiques, ainsi que la répartition des places fortes, jouent un rôle central dans l’identification des voies de circulation privilégiées. À l’heure actuelle, la documentation existante n’a pas fait l’objet d’un examen plus approfondi. Les quelque 1 000 lettres administratives écrites sur bois et découvertes dans le nord-ouest de la Chine sont le plus souvent ignorées par les synthèses générales. Rédigées par les fonctionnaires de la dynastie Han en expansion à partir du 1er siècle avant J.-C., elles apportent un éclairage essentiel sur la réalité concrète des relations diplomatiques, commerciales et conflictuelles entre la Chine et les États d’Asie centrale [Yuezhi-Kushan, Parthes (en Margiane), les cités-oasis du Taklamakan, ainsi que les Xiongnu et les Wusun (entre le Gobi, la région de l’Ili et la steppe)]. En ce qui concerne le patrimoine rupestre à ciel ouvert, les pétroglyphes, dont le plus grand atout est leur authenticité spatiale puisqu’ils sont placés sur un support inamovible inscrit dans le paysage, démontrent que depuis l’Antiquité, aucun obstacle dit “naturel” n’a été infranchissable. Cependant, malgré leur valeur historique, les pétroglyphes des régions concernées par ce projet sont relativement peu étudiés, contrairement à d’autres pays/régions d’Asie centrale (domaine altaïque, Sibérie du Sud, Kazakhstan, Mongolie) : leur étude contribuera directement à l’élargissement de nos connaissances sur l’histoire et la dynamique des relations centrasiatiques.
Ce projet est divisé en trois principaux axes de recherche, qui sont organisés en fonction de l’objet d’étude et au fur et à mesure de l’avancement du projet :
– la documentation des axes commerciaux et de circulation,
– l’étude et la publication des pétroglyphes et des textes chinois,
– une réévaluation de la notion de frontière culturelle grâce ) l’analyse spatiale des données dans un SIG.
Le corpus documentaire est composé de plus de 300 sites archéologiques (bibliographie et prospection comprises), d’environ 600 textes chinois et de près de 6 000 pétroglyphes, pour lesquels une sélection sera effectuée. L’accès privilégié au terrain et à la documentation représente une opportunité unique de rassembler et de confronter ces données, puis de proposer une analyse matérielle et spatiale des phénomènes d’interactions frontalières aux niveaux régional et global.
The period between the 5th century BCE and the 5th century CE saw the emergence and establishment of vast empires in Central Asia (Achaemenid, Hellenistic, Yuezhi-Kushan, Saka/Scythians, Xiongnu, Qin and Han) remarkable by the intensity of their material and commercial interactions. The attention of historians and archaeologists has been particularly focused on the core of these empires, as well as on the manifestations among the elites of the multiculturalism created by these exchanges. The evolution of consumption practices of luxury products, such as wine, jewellery, silk, precious dyes and lacquers, or the representation of the sovereign and his court on various media. While long-ranged contacts and exchanges within and across Central Asia have been well-established since the Neolithic period, peripheral areas – passes, high valleys, deserts – have often been neglected for lack of interest, data, or difficulties to access fieldwork (with notable exceptions such as the Taklamakan desert in China). The expansion of empires implies a territorial anchorage to be constructed intellectually and materially, in the form of religious policies, dynamic urban development and networking, the evolution of royal ideology, diplomatic networks, the control of trade and migration routes through the establishment of surveillance spaces (towers, forts, fortresses), but also petroglyphs on which our team has an extended expertise. The trade networks and communication routes in the valleys of the Vakhsh and the Zeravshan rivers, across the Pamir, and through the Taklamakan and Kyzyl-Kumdeserts as far as the Gobi are characterised by the human presence, permanent or intermittent, in order to ensure the control of a territory.
In this framework, which has not yet been studied in its entirety, commercial and diplomatic sub-networks, as well as the distribution of strongholds, play a central role in the identification of privileged circulation routes, whose precise role in the imperial expansion strategies remains to be determined. At present, the existing documentation lacks a wider consideration. The nearly 1,000 administrative letters written on wood and discovered in Northwest China are mostly ignored by general syntheses. Prepared by the officials of the expanding Han dynasty from the 1st century BCE, they shed an essential light on the concrete reality of diplomatic, commercial and conflictual relations between China and the Central Asian states [Yuezhi-Kushan, Parthians (in Margiana), the city-oases of Taklamakan, as well as the Xiongnu and the Wusun (between the Gobi, the Ili region and the steppe]. As far as the open-air rock art heritage is concerned, the petroglyphs, whose greatest asset is their spatial authenticity as they are placed on an irremovable support inscribed in the landscape, demonstrate that since Antiquity, no so-called “natural” obstacle has been impassable. However, despite of their historical value, the petroglyphs of the regions concerned by this project are relatively little studied unlike other countries/regions of Central Asia (Altaic domain, South Siberia, Kazakhstan, Mongolia): their study will contribute directly to the broadening of our knowledge regarding the history and dynamics of Central Asian relations.
This project is divided into three main work packages, which are organised according to the object of study and as the project advances:
– the documentation of the trade and circulation routes,
– the study and publication of petroglyphs and Chinese missives,
– the review of the notion of cultural frontier and spatial analysis through a GIS of relevant data.
The documentary corpus is composed of more than 300 archaeological sites (including bibliography and prospection), about 1,000 Chinese texts and nearly 6,000 petroglyphs, for which a selection will be made. The privileged access to the field and to the documentation represents a unique opportunity to gather and confront these data, then to offer a material and spatial analysis of the phenomena of border interactions at the regional and global levels.